Familles en situation de pauvreté – Colloque

« Familles en situation de pauvreté : quand la bien-traitance mène vers de nouveaux possibles »

Laurène Trevisan, conseillère pédagogique de la FILE a assisté au colloque de la Chacof du 28/11/2017 sur la thématique « Familles en situation de pauvreté : quand la bien-traitance mène vers de nouveaux possibles ». Voici un résumé des différentes interventions.

Introduction par M.Bernard DEVOS

« C’est une chose de rien avoir mais être considéré comme rien est encore pire »

Bernard Devos, délégué général des droits de l’enfant, a introduit cette journée de colloque en mettant l’accent sur ce qu’il a pu observer sur le terrain lors de ses trente années en tant qu’éducateur.

Celui-ci s’est très vite rendu compte de la pauvreté et de ses conséquences sur les droits de l’enfant. Ces droits à la santé, à la culture, aux loisirs … ne sont pas respectés. Il est donc primordial de créer davantage de places dans les milieux d’accueils afin d’améliorer le parcours de vie de ces enfants qui sont mis de côté. Il ne devrait pas y avoir de « pauvreté infantile ». Certains pays comme les pays scandinaves mettent en place l’accueil universel, sans redoublement, sans filière « fourre-tout », avec un congé parental d’une année, ce qui permet de ne mettre les enfants en crèche qu’à partir de leur un an…

L’enseignement est non égalitaire et non équitable en Belgique ; le regard culturel amène les enfants ne connaissant pas le français en enseignement spécialisé.

Les enfants rabaissés et exclus ont besoin de soutien car « c’est une chose de rien avoir mais être considéré comme rien est encore pire ».

Intervention de M. Arnaud DEROO

« Nous sommes les obligés des enfants, ils ne nous doivent rien »

Arnaud Deroo, thérapeute, psychanalyste, auteur et formateur est intervenu lors de ce colloque sur le thème de la bien-traitance dans les milieux d’accueil. Via cette intervention toute en humour, il incite à la réflexion et à la remise en question.

Celui-ci, tout en rebondissant sur les propos de Mr Devos, affirme qu’il y a urgence de créer des places dans les milieux d’accueil et de surtout créer la bien-traitance. La bien-traitance, qui est un besoin fondamental, augmente les chances de l’enfant et permet également de « réparer ». Quand un enfant vient au monde, il présente toutes les valeurs humaines. Nous, adultes, abîmons ces valeurs dès les six mois de l’enfant. D’après Montessori, si on élevait les enfants différemment, le monde changerait. Mr Deroo souligne sur le fait qu’il est important d’être bien-traitant avec soi-même avant de pouvoir l’être pour l’enfant. Il s’agit d’un travail de tous les jours qui passe également par le fait d’être accompagné soi-même dans son travail. Accueillir l’enfant avec sa réalité, qui peut être la pauvreté par exemple, peut parfois peser et chambouler. Le professionnel doit donc aussi bénéficier d’un espace et d’un accompagnement bien-traitant.

La bien-traitance amène l’adulte à mettre en acte ce qu’il sait positif pour le développement de l’enfant. Le respect en fait donc partie. Quand on respecte un enfant, l’enfant respecte en retour. Le non-respect fragilise l’enfant à tous points de vue et augmente le stress. Il faut donc apprendre à poser des limites à nos envies de maîtrise et d’autorité. Il est important de ne pas humilier l’enfant. Il est toutefois nécessaire de souligner que respecter ne signifie pas tout accepter et valider. La bien-traitance est donc un savoir-être ; les connaissances ne suffisent pas, il faut les vivre, les éprouver. Il est important de prendre le temps de s’arrêter, de regarder et de penser sa pratique.

La bien-traitance se manifeste partout, pouvoir individualiser plutôt que « faire du collectif », favoriser les repas en petits groupes, faire attention aux mots employés (« on ne prend pas un enfant, on l’accueille »), prendre soin de la familiarisation (au moins 8 séances), respecter les parents en accompagnant la relation sans y mettre un pouvoir d’autorité ou encore répondre au besoin de sécurité de l’enfant qui pleure, accompagner les émotions, les colères, les frustrations. L’enfant a besoin du regard de l’adulte pour grandir (Winnicott). En effet, lors de comportements qui troublent, les professionnels doivent prendre le temps de regarder, observer et analyser afin d’accompagner au mieux l’enfant qui est en souffrance. Plus l’enfant souffre, plus il y a des chances qu’il se sente en insécurité à l’âge adulte lors d’épreuves plus compliquées. Mr Deroo dira que « la bien-traitance est un beau présent à faire à son présent pour transformer son futur ». La bien-traitance se loge dans le quotidien. L’enfant a donc besoin d’attention et d’un adulte empathique disponible qui se demande « que vit l’enfant à ce moment donné ? Et les parents ? »

L’accompagnement des parents est également très important. Les professionnels doivent accepter la relation sans jugement afin d’établir une relation de confiance. Les parents doivent être respectés et écoutés. Si ceux-ci présentent un comportement inadéquat, il faut pouvoir signaler l’étonnement ou le questionnement par rapport à ce comportement. Pour se faire, il est souvent nécessaire que les professionnels rentrent dans leur monde, dans leurs réalités afin de mettre du sens sur ce qu’il se passe et comprendre leurs besoins. On fait AVEC les familles, il s’agit d’une co-construction, d’une alliance qui permet à l’enfant de sentir le lien, la continuité entre sa famille et son milieu d’accueil.

Mr Deroo mettra également l’accent sur l’importance du travail autour du projet pédagogique. Aujourd’hui, certains professionnels oublient le sens du travail en crèche, en se penchant un peu trop sur un travail cognitif (activités sur les couleurs, les pays etc.) ou en automatisant les gestes du quotidien. Certains professionnels de la petite enfance sont amenés à effectuer 17 soins/changes l’un à la suite de l’autre. Cela n’est pas possible ; une relation importante se joue lors de ces soins. Il est primordial de remettre du sens sur ces gestes et cela passe, entre autres, par le projet pédagogique.

La bien-traitance se traduit donc partout et tout le temps et est à la base du bon développement de l’enfant. Il y a donc un enjeu important à développer cette bien-traitance dans le quotidien de nos milieux d’accueil.

Intervention de Mme Christine Mahy

Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté, nous a éclairé sur la réalité de la pauvreté et ses conséquences.

Qu’est-ce que la pauvreté ?

Un quart de la population belge est concernée par la pauvreté. Cela correspond donc à 26% des ménages. A Bruxelles, ce pourcentage monte jusqu’à 40%.

Sont considérés comme « pauvres », les couples avec deux enfants touchant maximum 2300 euros par mois et une personne vivant seule, touchant 1100 euros par mois. En Wallonie, aujourd’hui, 38% des ménages n’ont pas d’épargne et 8% de la population se privent de choses essentielles (= déprivation matérielle). Sur un continuum des régions les plus pauvres aux régions les plus riches d’Europe, la Wallonie se trouve dans la moitié inférieure et Bruxelles est la région la plus pauvre de toute l’Europe. Bruxelles produit pourtant le plus de richesses en Europe mais celles-ci ne reviennent pas à la population.

La pauvreté est une conséquence à la perte des droits. Par exemple, en ce qui concerne le droit aux logements, il existe beaucoup trop peu de logements sociaux en Belgique (7%). Les droits aux revenus et à l’enseignement sont également bafoués. L’enseignement se dit obligatoire et gratuit ; l’entrée est effectivement gratuite mais beaucoup de choses doivent être payées par la suite (par exemple, le matériel et les excursions).

Familles en situation de pauvreté et milieu d’accueil

La relation professionnels-parents est parfois polluée par le manque de moyens financiers. Il est important de prendre en considération les réalités des familles, leurs difficultés mais aussi leurs ressources. Les familles en situation de pauvreté doivent toujours s’ajuster et sont souvent confrontées à des frustrations quotidiennes. Il arrive souvent que lorsque nous parlons de pauvreté, nous mettons tout le monde dans le même paquet sans souligner que chaque personne est unique. La pauvreté a des causes et des conséquences différentes pour chacun. Les milieux d’accueil ont donc un rôle à jouer dans l’accueil des parents afin de ne pas augmenter la honte et/ou la culpabilité. Les professionnels doivent être attentifs à ne pas être violents envers eux. Plutôt que de partir de ce qu’on estime qu’ils devraient faire, comment peut-on les écouter par rapport à leurs possibles ? Il est nécessaire de tendre vers leurs réalités et de chercher leurs ressources car il y a toujours du potentiel afin de donner espoir et de répandre la confiance.

L’introspection des professionnels est également importante. Quelles sont mes propres limites ? Mon vécu ? Qu’est ce qui fait écho chez moi ? Puis-je en discuter en supervision ? Il est tout à fait normal d’avoir besoin d’un accompagnement face à des situations compliquées à gérer. Il est possible que parfois nous ayons envie de « secouer » certains parents en situation de pauvreté car cela nous renvoie à notre propre réalité « si j’ai réussi à m’en sortir, eux le peuvent aussi ». Il faut être conscient que certaines personnes n’ont peut-être pas les mêmes ressources, la même histoire que nous. Un accompagnement peut permettre de ne pas transposer son propre vécu sur les autres.

Les parents en situation de pauvreté peuvent parfois chercher des alliés chez les professionnels de la Petite Enfance pour compenser leur précarité. Mettre souvent son enfant en crèche ne signifie pas forcément que les parents souhaitent être tranquilles. Il se peut que ce soit un moyen pour que leurs enfants aient un meilleur repas, de meilleurs soins que ce qu’ils peuvent donner en ce moment. Il peut donc s’agir d’un geste d’amour ; attention donc aux interprétations hâtives. Les milieux d’accueil sont des endroits où des moyens peuvent être mis en place pour aider un tant soit peu ces familles. Par exemple, certaines crèches permettent aux parents d’emprunter des livres pour qu’ils puissent les lire à leurs enfants aux moments du coucher. Les milieux d’accueil et les professionnels de la Petite Enfance peuvent donc être des ressources pour ces familles en situation de pauvreté.

Compte-rendu rédigé le 14/12/2017 par Laurène Trevisan, Conseillère Pédagogique de la FILE

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