La Petite Ecole à Saint Gilles

La Petite Ecole

La Petite École est un dispositif pédagogique et thérapeutique de pré-scolarisation unique en Fédération Wallonie Bruxelles, fondée par deux enseignantes en  2016.

La Petite École est un lieu de transition vers l’école pour des enfants de l’exil, jamais ou peu scolarisés. Située dans une ancienne boutique des Marolles, elle offre un espace discret et accueillant. Elle propose une première expérience de l’école et de ses codes.

Ce dispositif, à la fois souple et structuré, permet aux enfants d’être disponibles aux apprentissages et de s’inscrire dans un projet scolaire.

Nous avons rencontré Marie Pierrard, co-fondatrice de la Petite Ecole, afin d’en apprendre plus sur leur projet.

Pour commencer, comment est né votre projet de la Petite Ecole ?

A la base, ce sont deux enseignantes du secondaire qui, par hasard, ont rencontré des familles syriennes dans un parc à Anderlecht. Ces familles demandaient de pouvoir scolariser leurs enfants qui n’étaient pas scolarisés. Nous avons proposé de faire une école de français dans le parc pendant l’été, on l’a appelé « l’école éphémère ». L’école éphémère a eu lieu pendant l’été 2015, juste avant la grande vague migratoire. Des bancs ont été installés dans le parc et une école a été mise en place. Au début, il y avait une vingtaine d’enfants et on a terminé avec une centaine d’enfants. Des ateliers courts d’une heure trente étaient proposés pour les enfants et d’autres ateliers de la même durée pour les adultes.

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Avez-vous fait appel à des interprètes ?

 

Les gardiens du parc de Bruxelles Environnement nous aidaient par rapport aux interprètes et puis des personnes se sont intéressées petit à petit au projet dont des personnes parlant arabe mais c’est vrai qu’on a toujours fait avec les moyens du bord et avec des personnes qui pouvaient traduire certaines choses mais ce n’est pas ça qui nous permettait de faire classe. On a beaucoup travaillé sur les répétitions, le fait de recopier des gestes… 

On a donné cours pendant un mois et on s’est rendu compte qu’au-delà du fait que les enfants ne parlaient pas français, ce sont des enfants qui n’étaient jamais allés à l’école parce qu’ils avaient eu un parcours migratoire très long ou alors qu’ils s’étaient arrêtés dans différents pays comme le Liban, l’Algérie ou l’Egypte pendant un certain temps et n’avaient pas une stabilité pour entamer un parcours scolaire régulier. Ils n’avaient donc pas les codes scolaires et ils avaient pourtant l’envie d’apprendre, ils étaient demandeurs d’aller à l’école. On s’est dit qu’il fallait une zone tampon, un lieu de transition entre l’arrivée en Belgique et l’école.

Quel est le projet actuel de la Petite Ecole ?

 

La Petite Ecole a été fondée en 2016. Il s’agit d’un groupe de 12-15 enfants âgés de 6 à 16 ans. C’est une classe unique qui est encadrée en horaire scolaire, tous les jours, de 8h à 15h. La journée est structurée de telle manière que les enfants peuvent choisir deux ateliers manuels ou l’apprentissage en classe tel que l’écriture ou la lecture. Les ateliers viennent travailler des compétences qui vont aider les enfants pour le travail en classe. Psychomotricé fine, socialisation, respect des règles, travail de mesures, céramique, menuiserie….

Est-ce qu’il y a des liens qui sont faits avec l’Accueil Temps Libre ? Des collaborations ?

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La Petite Ecole organise une Ecole des devoirs (EDD) pour les anciens de la Petite Ecole le mercredi après-midi. Par ailleurs, il y a des demandes des enfants de la Petite Ecole mais aussi d’autres enfants du quartier de fréquenter une EDD de manière régulière. Il y a beaucoup d’enfants de la Petite Ecole qui fréquentent des EDD des Marolles et nous avons aussi un partenariat avec le CEMôme, qui est une AMO de Saint Gilles, qui permet que deux éducateurs viennent s’occuper de la récréation de la Petite Ecole. Le CEMôme propose aux enfants des tarifs réduits pour des stages ou plaines de vacances. Il y a donc des places qui sont gardées pour que ces enfants puissent y participer.

Est-ce que des choses spécifiques sont mises en place pour l’accueil de ces enfants ?

 

Pas spécialement. La seule chose que je peux dire c’est que c’est important pour les enfants de pouvoir faire repères. On essaie et dans les plaines c’est la même chose, que ce soient toujours les mêmes animateurs. On parle des traumas de guerre mais l’exil est un évènement traumatique donc il est important de créer un milieu contenant, un milieu par lequel l’enfant sait prévoir ce qu’il va se passe et des rituels

Il y a beaucoup d’enfants qui ne reviennent pas à l’EDD de la Petite Ecole car ils ont déplacé leurs repères dans leur nouvelle école. Cette question de repères au niveau humain et au niveau de la structure du temps, c’est extrêmement important. Sinon, nous avons des bons retours, cela se passe bien.

Est-ce que les enfants peuvent rester plusieurs années à la Petite école ?

Oui mais cela ne s’est jamais produit. C’est arrivé une fois qu’un enfant reste un an et demi parce qu’il y avait trop de changements familiaux et la Petite Ecole faisait repère. De manière générale, les enfants sont très bien à la Petite Ecole mais ce dispositif permet une sorte de fantasme de l’école et ce qu’on essaie de faire, c’est de créer ce désir d’école en travaillant sur la confiance en soi des enfants pour pouvoir aller vers cette institution jamais fréquentée. C’est vrai que les enfants nous le disent, à un moment, ils ont envie de partir et c’est plutôt sain et bon ! C’est souvent entre 8-9 mois et un an que les enfants nomment qu’ils ont envie d’aller à la « grande » école.

 

Comment se passe l’après « Petite Ecole » ? Est-ce que la transition est accompagnée ? Est-ce que le dispositif aide à trouver une école par la suite ?

L’instituteur de la Petite Ecole, Corentin Lorand, va rencontrer les futur.e.s instituteurs.trices dans les écoles. Avec l’équipe, on remet un portrait de l’enfant « qui est cet enfant ? » hormis le fait qu’il ne sait pas encore lire ou calculer, il n’a en effet peut-être pas le même niveau scolaire que les autres mais il y a toute une série de choses qu’il sait faire… C’est vraiment faire un portrait de l’enfant à partir de notre regard et transmettre cela pour que l’enfant puisse être accueilli à partir de tout ce qu’il est déjà et pas uniquement de ce qu’il n’est pas encore. L’instituteur rencontre la future école au début de l’année scolaire et pour les enfants qui sont dans les écoles partenaires, il va dans les classes jusqu’en décembre pour les accompagner, avec accord de l’enfant car parfois les enfants disent qu’ils n’en n’ont pas besoin. Dans tous les cas, la Petite Ecole rencontre encore 3 fois après l’instituteur ou l’institutrice et il y a un lien avec les parents qui persiste afin de les accompagner par rapport au fonctionnement de l’école. Ceux-ci se retrouvent souvent perdus. Il y a donc un travail de médiation entre nous et eux et on continue à être médiateurs entre eux et l’institution scolaire.

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Parfois, les enfants continuent à venir à l’EDD et donc l’accompagnement se poursuit. En ce moment, des enfants de la Petite Ecole de 2017-2018 sont accueillis à l’EDD. Tant qu’ils en ont besoin, la petite école reste disponible.

 

Concernant l’EDD, qui n'est pas une école de devoirs au sens de la reconnaissance ONE, est-ce que le fonctionnement est différent ? Est-ce qu’il y a des choses particulières mises en place ?

Certains enfants reviennent à l’EDD pour faire repères et pas forcément pour l’aide aux devoirs. Il y a la possibilité de jouer à l’EDD donc les enfants ne sont pas obligés d’y faire leurs devoirs, d’y travailler. Parfois, même des enfants assez grands ont besoin de se réapproprier le lieu, le cadre est plutôt le lieu en lui-même et ce qui y est permis, ce qu’on peut y faire, y déposer… C’est vrai que du fait qu’on les connait bien, il y a une confiance et les choses d’ordre personnelles peuvent continuer à être racontés dans ce cadre.

Généralement, il s’agit tout de même d’une aide aux devoirs, on regarde ce qu’il y a dans le journal de classe, parfois c’est répondre à des avis ou demandes de l’instituteur car les parents ne comprennent pas les avis ou de contacter un interprète pour les aider… Et si les enfants viennent pour jouer, alors c’est les accompagner dans ce jeu. On s’adapte à leurs besoins.

Avez-vous des pistes de ressources, des documents de références ou des outils qui pourraient aider les professionnel.le.s de l’accueil temps libre lorsqu’ils accueillent des enfants en situation de migration et à quoi doivent-ils être attentifs ?

 

Il faut être attentif à se poser la question d’où se placer pour pouvoir créer un lien avec l’enfant tout en sachant qu’il ne partage pas la même langue. C’est aussi, parfois, se déplacer et se mettre à la place de l’autre, se remettre dans le contexte que ces enfants sont entourés de personnes ne parlant pas leur langue, cela peut-être très fatiguant et donc on essaie à la Petite Ecole de minimiser le flux de parole pour aller vers des gestes corporels. Il y a beaucoup de choses qui peuvent être entendues autrement que par des mots et les pictogrammes fonctionnent très bien. Cette question de repère temporel est aussi importante ; cela peut aider d’indiquer sur des panneaux le déroulement de la journée, on constate que c’est très efficace en termes d’apaisement de l’enfant qu’il puisse voir à tout moment de la journée ce qu’il va se passer par la suite.

On a pris beaucoup de ressources dans des manuels et dans la littérature pédagogique de la petite enfance, qui sont adaptées par après pour les plus grands, il y a des choses formidables.

 

A quoi faut-il être attentif dans l’accueil et l’accompagnement des familles de ces enfants ?

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C’est pouvoir reconnaître leur place de parent. Souvent, dans des situations de migration ou face à des institutions qu’ils ne connaissent pas, ils pensent ou on leur fait penser qu’on fait mieux avec leurs enfants qu’eux-mêmes. Il y a beaucoup d’études qui parlent de « déparentalisation », du fait de perdre sa place de parent. On vient avec nos manières de faire, de penser et souvent on pense que ce sont les bonnes manières et du coup on pense à la place des parents. Il ne faut jamais oublier qu’on n’est pas les parents et que c’est eux qui connaissent le mieux leurs enfants. Pouvoir être dans ce lien et leur poser des questions plutôt que leur donner des conseils, c’est important.

Pour la Petite Ecole, on se rend compte que pour les projets qui n’ont pas fonctionnés, c’est que souvent on n’avait pas réussi à créer ce lien avec le parent et si on n’est pas en lien avec le parent, on ne peut pas être en lien avec l’enfant.

Marie Pierrard souhaite terminer avec une phrase de Danielle Crutzen, Directrice du Centre MENA « Les Hirondelles » : « Il ne faut jamais oublier qu’on est sur des sièges passagers et que ce sont eux les conducteurs ».

La Petite Ecole permet donc aux enfants en situation de migration de bénéficier d’un lieu de transition avant d’intégrer le système scolaire. Ce lieu permet aux enfants et aux familles d’avoir de nouveaux repères qui sont primordiaux pour leur bien-être, des repères en termes de lieu, de temps mais aussi de personnes.

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