Colloque « Ouvrir la porte aux parents : une évidence et un défi »

Copie de Colloque Ouvrir la porte aux parents une évidence et un défi
Lors de notre colloque du 15 septembre 2021 à la Marlagne, nous vous avons proposé de réfléchir sur le thème « Ouvrir la porte aux parents : Une évidence et un défi ! ». Grande thématique, essentielle mais pas si évidente…

 

Une évidence ! Attention au retour en arrière…

Lorsque l’on amène ce thème de l’ouverture aux parents dans les milieux d’accueil, la plupart des professionnel.le.s sont conscient.e.s qu’il est impossible d’accueillir un enfant sans accueillir ses parents, sa famille… Une évidence donc oui ! Cependant ce n’est pas si simple et cela ne s’improvise pas.

Il y a une trentaine d’années, une vision hygiéniste de l’accueil primait. Les parents étaient en dehors des milieux d’accueil. Heureusement, aujourd’hui, nous sommes bien loin de ces considérations ; bien que la crise sanitaire ait ramené certains aspects que nous pensions oubliés. En effet, au début de la crise sanitaire, les mesures prises pour le secteur de l’enfance ont mis à distance les parents qui ne pouvaient plus rentrer dans le milieu d’accueil. A nouveau, les parents étaient mis dehors…. Un grand retour en arrière… Ne sont-ils pas essentiels pour l’accueil de leur enfant ?

Un défi ?

Et pourtant ! Les spécialistes et chercheurs du domaine ont mis en évidence qu’il est indispensable de prendre en considération les parents pour le bien-être de l’enfant. Mais comment ? Jusqu’où ? Et s’ils prennent trop de place ? Quels aménagements pour eux ?

Une évidence oui, mais c’est aussi un grand défi. Surtout quand il s’agit d’accueillir des parents qui ne nous ressemblent pas. C’est un réel enjeu, cela ne s’improvise pas… Cela se rêve, se prépare, se construit et s’aménage. Pour nous éclairer sur cette thématique, Michel Vandenbroeck et Monique Meyfroet ont apporté leurs connaissances et réflexions, en voici les lignes principales. Vous trouverez aussi des réflexions du secteur sur notre support PowerPoint.

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Intervention de Michel Vandenbroeck : « La porte n’est pas ouverte à tout le monde »

Colloque « Ouvrir la porte aux parents : une évidence et un défi »

Michel Vandenbroeck est professeur en pédagogie de la famille et responsable du département du travail social et de la pédagogie sociale à l’Université de Gand. Il est également président du VBJK – Centre d’innovation dans la petite enfance. Ses recherches portent sur les milieux d’accueil de la petite enfance et sur les politiques de la famille. Il a été co-responsable de la recherche MeMoQ sur la qualité des milieux d’accueil en Flandre et a récemment supervisé deux études doctorales sur la place des parents. En outre, il a mené des recherches sur les lieux d’accueil parents enfants en Flandres, et en collaboration avec des collègues de France, d’Italie et du Japon. Michel Vandenbroeck est membre du conseil de Agentschap Opgroeien (précédemment Kind en Gezin).

Le PowerPoint de son intervention.

Les milieux d’accueil doivent ouvrir la porte aux parents mais sont-ils ouverts à toutes les familles ? Malheureusement, la réponse est nuancée car quand on parle de cette relation indispensable avec les parents, il ne s’agit pas de n’importe quel parent.

Michel Vandenbroeck ouvre le colloque en commentant plusieurs recherches dans le secteur des milieux d’accueil et en comparant les situations de différents pays. En voici quelques extraits.

En Europe, un rapport existe entre l’inégalité et le nombre d’enfants en crèche : plus il y a d’enfants en milieu d’accueil, moins il y a d’inégalités. Nous constatons 3 exceptions à cela : la Belgique, la Hollande et la France où le taux d’accès aux crèches est élevé mais avec un taux d’inégalités élevé également. Nous faisons partie de l’exception européenne, il est donc important d’y réfléchir davantage ! Pour quelles raisons la Belgique, malgré son nombre d’enfants en crèche, ne suit-il pas l’exemple de ses voisins européens chez qui les inégalités diminuent avec l’augmentation du nombre d’enfants en milieux d’accueil ?

Intervention de Monique Meyfroet : « Je t’aime, moi non plus » : la complexité des relations parents/professionnel(le)s »
Colloque « Ouvrir la porte aux parents : une évidence et un défi »

 

Monique Meyfroet est psychologue clinicienne diplômée de l’ULB et bien connue de notre secteur. Sa carrière professionnelle comporte 2 volets: L’un purement clinique au centre de santé mentale l’Eté à Anderlecht. L’autre est un travail de formation continuée pour le personnel des crèches, prégardenniats, pouponnières… à la Cocof et puis au FRAJE. Retraitée, elle poursuit un travail de formation et de supervision pour les professionnels de la petite enfance et les institutions de l’aide à la jeunesse.

 

« Ah les parents… »

Que se passe-t-il dans cette relation particulière, asymétrique, entre parents et professsionnel.le.s consciemment et inconsciemment ?

La crèche comme outil de moralisation des parents

Lors de l’ouverture des premières crèches en France, un philosophe soulignait qu’il fallait ouvrir celles-ci avec certaines conditions : les pères ne pouvaient pas être alcooliques ou encore la mère ne devait pas avoir de concubin. Il y avait une moralisation par le biais des enfants avec une série de recommandations. Les mères devaient s’engager sur l’honneur à respecter 35 consignes sur comment s’occuper de leur enfant. Aujourd’hui la moralisation est encore présente ; rien que le manque de place en milieu d’accueil rappelle qu’il ne faut pas faire trop d’enfants.

A la fin du 18ème siècle, il s’agissait de sauver les enfants pauvres sur le modèle bourgeois. En effet, des personnes bourgeoises s’occupaient des enfants et finalement nous sommes encore là-dedans car les crèches servent davantage aux riches plutôt qu’aux parents avec plus de difficultés.
Nos représentations mentales des parents sont un aspect aussi moralisateur, bien-pensant.
En milieu d’accueil, nous nous adressons à beaucoup de parents dont on ne sait pas grand-chose et où l’imaginaire crée des représentations. 

La relation est asymétrique car les professionnel.le.s jouent une carte professionnelle, « ils soutiennent les parents». Les parents sont dans un mode passionnel et intime, l’enfant est précieux. Le professionnel est dans le « rationnel », le « savoir ». Nous parlons souvent de « collaboration », mais ce n’est pas vraiment cela qui se passe car les professionnel.le.s savent ce qu’ils doivent faire mais ils  ne savent pas ce que les parents souhaitent. Le dialogue est asymétrique, complexe et varié.
Il y a des parents qui n’ont pas beaucoup d’attente du milieu d’accueil, d’autres qui attendent qu’on « garde » leur enfant et qu’on en prenne soin, d’autres qu’on les prépare à l’école… Les attentes ne sont pas vraiment précises.

Quelques points de réflexion évoqués lors du Panel de questions/réponses animé par Natacha Verstraeten, avec la participation de Monique Meyfroet, Michel Vandenbroeck, Laurence Marchal (ONE) et Anne-Françoise Janssen (Réseau Wallon de Lutte contre la pauvreté) :
  • La place de la direction dans la communication avec les parents est extrêmement importante car le premier contact se fait souvent avec elle. Ce rôle de tiers est essentiel. Une réunion avec les parents, la direction et la/les puéricultrice(s) référente(s) peut être intéressante dès le début pour enclencher la communication avec des regards différents. L’administratif prend beaucoup de place mais il est toujours possible de débloquer du temps et de créer du temps, en donnant la place à tout le monde, via la solidarité dans les sections entre autres, ce qui permet d’ouvrir le trialogue pour que l’enfant soit reconnu singulier avec des parents singuliers.
  • Le parent doit être un partenaire qui est pris en considération ; il faut mettre ce partenariat en œuvre en mettant les conditions pour que cela soit possible et pour cela, il faut du temps.
  • Le temps passé en accueil extrascolaire est un temps essentiel pour l’enfant. Cela doit être un temps riche et le projet éducatif est le lien qui fait continuité entre les pratiques. La manière dont on échange avec les parents autour de ce projet est importante. Comment montrer le projet et en parler autrement que dans une démarche administrative ? Soyons créatifs… Pourrions-nous proposer au parent de venir une heure dans le milieu d’accueil en dehors de la familiarisation ? Pour cela, il faut être à l’aise et pouvoir accueillir les questions de l’autre, pouvoir échanger sans se sentir jugé ; « le parent m’apprend des choses sur ce qu’il perçoit de l’accueil et que puis-je en faire ? ».
  • La place des familles est abordée beaucoup trop tard dans la formation initiale et, il faudrait laisser la place aux stagiaires pour travailler cette thématique durant leur formation pratique. L’ONE travaille depuis plus de 10 ans pour faire évoluer la formation de niveau secondaire et cela avance. Un profil métier a été élaboré et le travail est toujours en cours pour un profil de formation. Une autre revendication est le bachelier d’éducation de l’enfant ; un groupe de travail est mis en place, cela prend du temps mais le travail est en cours.
    Par ailleurs, pour travailler l’accessibilité, il faut déjà parler de pauvreté et de diversité lors de la formation initiale, avoir des rencontres avec des acteurs de terrain et avec les personnes elles-mêmes pour mieux comprendre les enjeux, les obstacles et les malentendus qui peuvent prendre place entre les professionnel.le.s et les parents en précarité.
  • Comment être disponible aux familles ? Quels espaces pour partager son vécu ? Il faut reconnaitre que le travail est parfois difficile. Il est important d’avoir des temps où on peut s’arrêter, travailler sur ce qui se vit pour les enfants et pour les professionnel.le.s. Il faut donc des espaces de supervision. La formation continue est une possibilité et l’ONE est également en train de mettre en place des bourses pour des supervisions collectives, ces supervisions seront des endroits où il sera possible de déposer ce que l’on vit en tant que professionnel.le.
  • Le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté est situé à Namur et existe depuis très longtemps. Le taux de pauvreté est fort important en Belgique et impacte les enfants et les familles que vous accueillez. Il y a un manque de diversité sociale dans les milieux d’accueil en Wallonie et à Bruxelles alors que l’accueil petite enfance est un droit pour tous les enfants, mais qui n’est accessible qu’à une petite partie de la population. Il n’y a pas assez de place et le discours ambiant considère toujours que la crèche a une fonction économique qui doit permettre aux parents d’aller au travail. Ceci est un obstacle majeur par rapport à l’accessibilité. Il faut une volonté politique et même un courage politique, pour faire société ensemble. Les parents, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas là qu’ils n’en n’ont pas l’envie ou qu’ils n’ont pas conscience que l’accès à l’école et aux milieux est essentiel. Il faut une réflexion et mettre des choses en place pour faciliter la place à chaque parent. Les professionnel.le.s qui peuvent témoigner de la nécessité du besoin de place pour tous et qui viennent réfléchir sur la question de l’ouverture aux parents, font déjà un pas politique. C’est déjà un levier d’action et la possibilité de mettre en place une prévention sociale, de changer l’environnement.
  • Est-ce que la crèche est un passage obligé pour être un « bon futur adulte » ? Cela ne doit jamais être un passage obligé mais avoir le choix d’avoir une place si on en a envie et besoin est une question essentielle. Pouvoir déposer son enfant en confiance, avoir du soutien…
  • Ne faut-il pas créer des structures spécialisées en précarité ? Il faut une diversité d’accueil comme les haltes d’accueil. Les personnes en situation de pauvreté sont plus représentées dans ces structures car il y a plus de souplesse, plus d’écoute des besoins… Mais ce n’est pas du tout adéquat non plus de créer des sortes de ghettos, des structures spécifiques pour les personnes en précarité.
  • Attention à rendre les inscriptions plus égalitaires en prenant conscience que le mouvement de digitalisation n’est pas accessible à tous (accès internet, difficulté…). Tout le maillage au niveau du réseau, de l’associatif proche peut être un lieu décentralisé d’inscriptions, pour entrer en contact avec des personnes qui ne maitrisent pas la culture dominante ou le langage dominant.
  • Prenons des pincettes avec le terme de « soutien à la parentalité » : le terme n’est peut-être pas adapté. Retournons à de la collectivité, qui n’ajoute pas à l’individualisation de la responsabilité du parent qui pour certains parents est impossible à porter. Plutôt que donner des conseils (même si cela peut aider un parent de temps en temps), ouvrons à la discussion avec les parents sur ce qu’ils vivent. L’expérience du soutien social est importante, cela brise l’isolement. Quand on est un parent précarisé, faire société ensemble est d’autant plus essentiel. Le lieu d’accueil est un espace social important pour la rencontre entre parents également.
  • La créativité au service des parents : oser sortir du cadre, écouter, se mettre à penser et à réfléchir pour trouver des solutions provisoires en fonction des besoins des familles.

 

La FILE se donne comme mission principale d’offrir des milieux d’accueil de qualité à tous les enfants.  L’accessibilité et la qualité de l’accueil sont étroitement liés.  Mais pour rendre réellement accessibles les milieux d’accueil à tous les enfants, au-delà des questions financières et du manque de places, c’est toute la question de l’ouverture aux familles, et à tous les types de familles, qui est questionné. Sommes-nous outillés, aujourd’hui, pour accueillir les enfants et leurs familles ? Les portes des milieux d’accueil sont-elles assez entrouvertes pour que les parents osent y franchir un pied ? Pouvons-nous imaginer autre chose dans nos structures ?

Voir aussi les PowerPoints de l’intervention de Laurène Trevisan et de Michel Vandenbroeck ainsi que des photos de la journée.

La synthèse de ce colloque est disponible au format PDF.