Colloque « Les émotions des professionnel.le.s » 08/11/2022

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Les émotions des professionnel.le.s

Le 8 novembre 2022, nous vous avons accueilli à la Marlagne à Namur pour une journée de colloque sur la thématique des émotions des professionnel.le.s de l’enfance. Vous avez été plus de 450 à participer à cette journée que nous attendions depuis 2020 !

Merci ! Nous avons partagé un très bon moment de travail et de plaisir.  

Contact(s) à la FILE

Laurène Trevisan – Conseillère pédagogique

contact(at)fileasbl.be – +32 10 22 52 02

En 2018, la FILE a organisé un colloque sur la thématique des émotions du jeune enfant et sur l’importance de se centrer sur celles-ci, de les reconnaître et de les accueillir le mieux possible en tant que professionnel.le.s. Mais qu’en est-il des émotions des adultes ? Des professionnel.le.s de la petite enfance ? Ne sont-elles pas laissées de côté ?

Le métier de professionnel.le de l’enfance est éminemment « émotionnel ». Les émotions ne peuvent être niées mais comment travailler avec elles ? Comment faire face à notre propre vécu émotionnel ? Comment comprendre notre émotion face au parent, à l’enfant ? Que faire quand celle-ci nous rattrape ? Comment et à qui communiquer ce que nous pouvons ressentir dans notre profession ? Pouvons-nous être en colère, triste, ému.e, heureux.se alors que le mot d’ordre est souvent de « prendre du recul et de la distance » ? Comment rester bien-traitant envers les enfants mais aussi envers nous-mêmes face à ce tourbillon de ressentis ?

 

Anne-Lise Ulmann et Arnaud Deroo ont tenté de répondre à ces questions importantes.

Voici les grandes lignes des éclairages qu’ils ont apportés :

 

Intervention d’Anne-Lise Ulmann : « La place des émotions dans les métiers de la relation »

Il y a plusieurs manières d’envisager les émotions. Anne Lise Ulmann propose de partir de l’angle interactionniste des émotions : l’émotion fait mouvement, fait agir, perturbe, crée de l’embarras,… Un vrai travail est nécessaire de la part du professionnel pour faire face à la situation, maîtriser l’émotion et agir. Cela demande un « travail émotionnel ». Celui-ci est particulièrement important dans le secteur de l’enfance car il demande une mise en scène de soi, une contention de certains états psychologiques, qui finit par transformer en profondeur. A force de se contraindre face à des situations ; on se modifie. Le travail émotionnel est important car il touche à la construction identitaire professionnelle et il caractérise même une certaine manière d’être un.e professionnel.le de l’enfance.

Ce travail émotionnel, c’est l’écart entre ce qui est ressenti et ce qu’on donne à voir, ce qu’on fait. C’est aussi lorsqu’on tente de « garder la face » par rapport à ce qui est ressenti à l’intérieur de soi. Cet écart est éprouvant et fatiguant et il l’est d’autant plus que le.la professionnel.le.s ne se sent pas légitime pour en parler. Le fait de garder pour soi ses émotions joue sur la santé des professionnel.le.s.

Témoignage : « Le matin, je dois toujours être de bonne humeur et enjouée quand le parent arrive même si je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et que je suis malade ».

Les professionnel.le.s doivent faire l’épreuve de leurs propres limites. On constate que ce qui est important dans ce métier, c’est de garder prise sur les situations rencontrées. En petite enfance, le travail émotionnel, c’est aussi d’accepter qu’on ne sait pas porter tous les enfants en même temps, que c’est physiquement impossible quand on est deux pour 14 enfants. C’est très dur émotionnellement de ne pas pouvoir être directement disponible pour chaque enfant.

Quand on ne peut pas exprimer ses émotions, qu’on les garde pour soi, à un moment donné, il y a un trop plein et « ça peut craquer ».  Quand « ça craque », cela peut dépasser les professionnel.le.s et laisser des traces de manière involontaire : amener des gestes violents, prendre brutalement un enfant par le bras pour ne pas qu’il aille dans un endroit interdit, lancer/casser un jouet, claquer une porte, taper sur la table un peu fort, sortir fumer car on n’en peut plus… Ce travail émotionnel est extrêmement éprouvant et s’il n’y a pas un soutien de l’institution pour aider à le dépasser, pour prendre le relais, pour faire en sorte qu’on ait le temps de faire une pause, prendre un café… c’est évidemment encore pire. Certains moments sont bien sûr plus compliqués (bruits, conflits, fatigue…), cela fait partie du travail. Pour rendre celui-ci tenable, il ne s’agit pas de mettre à distance les affects et les émotions mais plutôt de pouvoir les exprimer dans une institution qui les prend en compte et qui prend aussi en compte la complexité du travail.

Le travail émotionnel, c’est être conscient qu’à un moment, la situation n’est plus supportable et qu’il faut avoir un temps de retrait pour retrouver des respirations et reprendre le travail plus sereinement. On n’empêchera pas la complexité de ce travail, en revanche, on peut essayer de trouver des ressources dans l’organisation collective du travail pour contribuer à faire autrement. Le travail en équipe est très important pour partager ce travail émotionnel, invisible et épuisant qui l’est d’autant plus si on ne peut pas en parler. Les recherches montrent que les difficultés du travail sont nettement mieux vécues quand il y a des espaces professionnels dédiés à parler de son travail, quand il y a du temps qui est prévu dans le temps de travail pour réfléchir à ce qu’il se passe et qu’il est possible de passer le relais à un.e collègue si le besoin se présente.

L’enjeu n’est pas de barrer les émotions ni de les contenir car elles sont nécessaires pour le travail mais plutôt de travailler collectivement pour réfléchir aux réponses à apporter.

Pour travailler avec les enfants, il faut travailler avec les affects, à la manière de ressentir, d’éprouver, de comprendre et d’avoir une relation de proximité. Il faut aussi pouvoir travailler sans les enfants : avoir du temps sans les enfants pour parler de ce que l’on éprouve, de ce que l’on ressent et réfléchir à la manière de s’organiser pour que cela se passe bien pour tout le monde.

Colloque « Les émotions des professionnel.le.s » 08/11/2022
Colloque « Les émotions des professionnel.le.s » 08/11/2022

Intervention d’Arnaud Deroo : « Pourquoi je me sens envahi.e par une émotion ? Que faire ? »

L’émotion fait partie du quotidien de chacun, parfois elle peut nous invalider ou nous freiner. Dans la mission de professionnel.le de l’enfance, elle peut nous jouer des tours, nous amener dans des postures inadéquates vers l’enfant, vers nous-même et vers nos collègues. En effet, les émotions colorent et rythment le quotidien, d’autant plus que les professionnel.le.s de l’enfance sont des accompagnateurs des émotions des enfants.

Pour remplir cette mission correctement, il est important que les professionnel.le.s soient eux-mêmes à l’aise avec leurs émotions et leur propre vécu émotionnel. Bien souvent les émotions sont vues comme une source de perturbation alors que les recherches scientifiques démontrent qu’elles ont une fonction constructive et qu’elles visent à faciliter l’adaptation de l’individu à son environnement.

L’émotion est un évènement mental, de notre cerveau, destiné à assurer sa fonction principale : contrôler notre corps, le coordonner, le réguler pour le maintenir en vie et en bonne santé. C’est un système d’alerte et de protection. Notre cerveau reçoit des signaux et des informations sensorielles, il doit ensuite les traiter pour comprendre et leur donner un sens. Les émotions ne sont donc pas des réactions mais des prédictions du cerveau. Ce n’est pas en soi l’émotion qui est le problème, c’est plutôt la relation à l’émotion.

Les professionnel.le.s sont souvent mis.e.s à mal et encore plus quand les enfants sont eux-mêmes face à des situations complexes nouvelles comme lors de la familiarisation. Les professionnel.le.s peuvent perdre pied et, malgré leur savoir, adopter des comportements et/ou utiliser des mots inappropriés qui sont influencés par leur subjectivité et leur histoire. Parfois, on se laisse parasiter, contaminer par le sens que l’on donne à la situation. Les comportements et verbalisations disproportionnés correspondent à des situations où l’on est envahi par l’héritage émotionnel, l’histoire de l’enfance émotionnelle : tout cela influence les comportements et les croyances.

Face à des réactions d’enfant, l’adulte n’est parfois plus en syntonie et en harmonie avec lui. Ces situations où l’enfant confronte les limites personnelles, les interdits, les principes, les attentes et les croyances éducatives, peuvent vite réveiller des émotions et des réactions inadéquates. L’adulte se déconnecte alors du jeune enfant, ce qui peut être très préjudiciable pour celui-ci qui est certainement lui-même mal et en souffrance, pris dans un comportement difficile qui lui échappe. L’enfant a besoin d’un adulte en relation, connecté à lui et « bien dans ses émotions » pour l’aider à décoder ce qu’il vit.

Un enfant en confrontation avec l’adulte ou avec un comportement difficile a quelque chose à dire, il a un besoin sous-jacent qui doit être pris en compte. Il le fait savoir avec ses moyens. L’adulte est responsable de la qualité de la relation avec l’enfant ; aucun enfant n’est responsable du ressenti intérieur et des émotions des adultes.

Nous avons pourtant la capacité de nous calmer, de voir les choses avec de la distance et de guérir de nos blessures psychiques. Si nous vivons un évènement traumatique ou des multitudes de stress persistants, des expériences négatives dans le développement identitaire, du lien et de l’attachement, le système peut être perturbé et poser un problème à l’âge adulte.

Lorsqu’on perd ses moyens face à un enfant, c’est que la situation vient réactiver quelque chose de vécu pendant l’enfance, une situation qui n’était pas acceptable et qui devient dès lors inacceptable dans nos tripes même s’il n’y a pas de fondement. Dans ce genre de situations, nous ne sommes plus dans l’ici et maintenant avec l’enfant mais dans notre passé. Or, l’enfant a besoin qu’on soit dans le présent, il est donc nécessaire d’aller voir ce qu’il se passe à l’intérieur de soi, de comprendre et de retourner dans la relation avec l’enfant. Tout le monde a ce travail à faire pour pouvoir être disponible auprès des enfants.

 

Ressources :


 

Quelle belle journée de réflexions, de partages et de rencontres !

Ce colloque a été l’occasion de souligner le travail formidable que vous réalisez au quotidien ainsi que l’importance de vous écouter, de prendre soin de vous et de vos émotions. A l’année prochaine, le 3 octobre 2023, pour notre colloque sur « l’art et le plaisir en milieu d’accueil » !

Copie de Voeux 2023